Cleantech Podcast - Episode 1 : Sybille van den Hove (French Version)
March 9, 2023

BXVentures a récemment eu le plaisir de s’entretenir avec Sybille van den Hove. Sybille a une formation initiale en physique des particules et une thèse en économie écologique. Elle a passé presque 30 ans à travailler sur les enjeux de durabilité et s’est également beaucoup investie dans la recherche environnementale au niveau européen, notamment sur les questions de climat et de biodiversité. Elle accompagne désormais des entreprises dans leur processus de transformation vers plus de durabilité et est administratrice de la société IBA. Elle est également impliquée dans des questions de stratégie de recherches environnementales européennes et organise des formations à l’intention de scientifiques.
BXVentures : Bonjour Sybille. Merci de nous recevoir. Aujourd’hui, il y a un vrai appel à la décroissance. Quelle est votre position par rapport à ce sujet ?
Sybille van den Hove : Le problème fondamental, c’est la croissance. D’un point de vue purement scientifique, nous sommes sur une planète finie, qui a des limites. Il y a donc une impossibilité physique d’avoir une croissance qui continue éternellement dans un monde fini. C’est non négociable, ce sont les lois de la physique.
Nous avons monté un système économique qui est totalement alimenté par ce mythe d’une croissance, mais elle est au détriment du fait que l’on ronge le capital naturel et les fondations mêmes de notre milieu de vie. La question n’est donc pas de savoir si c’est bien ou mal de faire de la décroissance… nous n’avons tout simplement pas le choix ! La croissance infinie est un mythe, c’est une impossibilité. Il faut dès lors se demander comment réorganiser nos systèmes pour pouvoir vivre dans les limites planétaires, et y vivre bien. C’est la raison pour laquelle j’aime bien l’approche de Kate Raworth, qui a développé la théorie du Donuts. Elle prend en compte les limites planétaires, sur toutes les différentes dimensions environnementales qui constituent notre milieu de vie, mais aussi les fondements sociaux, sociétaux et humains.
BXVentures : Etant donné que vous avez étudié la physique et que vous vous y connaissez également un peu en physique nucléaire, quelle est votre position par rapport à l’énergie nucléaire?
Sybille van den Hove : Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne suis pas une spécialiste de l'énergie nucléaire mais je suis une citoyenne relativement bien informée. L’autre jour, je me suis rendue à une réunion d’un parti politique belge et le sujet du nucléaire a été abordé. J’en ai profité pour leur dire pourquoi j’estimais que le nucléaire n’était pas une très bonne idée, et c'est un euphémisme. Je leur ai dit combien j’aurais aimé être pro nucléaire. Que cela m’arrangerait vraiment de croire que l’on dispose d’une énergie propre, pas chère, sûre et abondante. Malheureusement, plus je me penche sur les enjeux de l’énergie nucléaire, plus je me dis que cette énergie n’a pas grand-chose pour elle. A part le fait qu’elle est relativement décarbonée, elle a beaucoup de défauts.
Tout d’abord elle est extrêmement chère. Il faut se rendre compte que lorsqu’on parle des coûts du nucléaire, on donne l’impression qu’elle ne coûte pas grand-chose car on omet d’inclure toute une série de coûts dans l’addition. Ensuite, elle est extrêmement dangereuse et comporte des risques d’accidents tels que l’on a connu à Tchernobyl, Fukushima, Three Mile Island et d’autres lieux en URSS. De plus, d’un point de vue de notre sécurité, les centrales nucléaires constituent également une cible terroriste potentielle. Elle pose également le problème de la gestion des déchets nucléaires, que nous léguons aux prochaines générations, ainsi que les problèmes en matière d’approvisionnement en uranium. Enfin, c’est une énergie ultra centralisée qui demande un état fort et en paix.
Sur ce dernier point, nous pouvons même pousser la réflexion un peu plus loin. La durée de vie d’une centrale nucléaire se situe entre 50 à 60 ans. Pour autant, cela ne fait pas tellement longtemps qu'on peut célébrer une fenêtre de plus de 60 ans de paix en Europe, et encore, je ne sais pas si on peut encore l’affirmer en 2023. Qu’est-ce qui nous fait croire que, sur un continent qui a été ravagé par les guerres tout au long de l’histoire, l’on peut relancer des programmes nucléaires monstrueux et que l'on sera en situation de paix ?
Quand les Russes et les Ukrainiens se sont battus près de la centrale nucléaire de Zaporijia, les opérateurs ne savaient pas quoi faire en cas de bombardements. Ce n’est pas nécessairement le genre d’information que l'on retrouve dans les manuels de fonctionnement des centrales ! Investir dans des technologies qui demandent des états riches, policiers et en paix, me parait être un vœu pieux. Quand je regarde les enjeux de cette énergie, qu’ils soient économiques, de sécurité, environnementaux, d’organisation de société, et de ce que j’ai pu voir à Fukushima et Tchernobyl lorsque j’ai été y trainer mes bottes, je suis convaincue de la dangerosité de cette énergie. Alors, bien sûr certains diront que les accidents nucléaires sont extrêmement rares. Mais quand il y en a, c’est une véritable catastrophe !
BXVentures : Si nous n’optons pas pour la solution du nucléaire, quelles sont les autres solutions possibles ?
Sybille van den Hove : De nouveau, je ne suis pas une super spécialiste des systèmes énergétiques, je parle du point de vue de quelqu'un qui se penche sur la dimension systémique de la durabilité. D’une part, il faut se rendre compte que cette gabegie de l’usage de l’énergie ne va pas pouvoir continuer, avec ou sans le nucléaire. Nous allons devoir sérieusement revoir notre relation à l’énergie, ainsi que notre consommation d’énergie. C’est un fait. A mon sens, on va devoir lâcher une partie de ce qu’on appelle notre confort, et qui parfois n’est pas du confort mais de la consommation à tous crins pour nourrir une espèce de croissance mythique. Il va y avoir des efforts monstrueux à faire.
En matière de solutions sur le système énergétique, je crois personnellement à un système ultra diversifié et relativement décentralisé, de façon à pouvoir utiliser non pas une solution, mais plusieurs solutions combinées. Si nous avions investi autant d’argent dans la recherche d’alternatives que dans le nucléaire, nous n'en serions pas là aujourd’hui.
BXVentures : A ce titre, que pensez-vous des clean technologies ?
Sybille van den Hove : Je pense surtout qu’il est important que dès qu’on pense à une technologie, et donc cleantech incluses, de la contextualiser et de se demander ce qu’on essaye d’apporter au monde. Est-ce que l’on crée une croissance de consommation qui n’apporte pas grand-chose aux besoins du monde ou est-ce que l’on crée quelque chose d’intéressant ? Ensuite, il faut élargir notre regard sur cette technologie pour essayer, autant que possible, d’éviter les mauvaises surprises.
Nous sommes tellement motivés en tant qu’êtres humains à trouver des solutions à nos problèmes que nous avons tendance à développer une myriade de solutions et qui peuvent, pour certaines, avoir des effets pervers. Certes, on ne peut pas toujours les anticiper, mais il faut quand même réfléchir à ne pas se mettre dans des systèmes d’irréversibilité. Avant de déployer une technologie à grande échelle, il faut réfléchir très sérieusement sur la manière dont on va la tester et avoir une réflexion à priori sur les enjeux et risques qu’elle peut poser.
BXVentures : Qu’entendez-vous par système d’irréversibilité ?
Sybille van den Hove : Prenons l’exemple de la géo-ingénierie. C’est l’idée par exemple de fertiliser les océans avec du fer afin que le plancton absorbe davantage de carbone pour aller à l’encontre du réchauffement climatique ou encore de charger l'atmosphère en aérosols pour limiter le rayonnement solaire qui atteint la Terre. C’est-à-dire que l’on va faire une expérience, au sens scientifique du terme, à l'échelle de la planète, avec la seule planète qu’on ait. C’est de la folie furieuse ! Cela signifie que si l’expérience ne fonctionne pas, nous n’avons aucun moyen de revenir en arrière.
La question de l’irréversibilité m’a toujours aidée à m’orienter et à hiérarchiser les problèmes environnementaux les plus graves. Prenons l’exemple du climat. Il y a très peu de chance qu’il revienne à l’état dans lequel il était en 1850, même si on arrête d’émettre des gaz à effet de serre. On ne va pas retourner en arrière. Ce n’est pas réversible. Quand vous faites une contamination nucléaire du style Tchernobyl, c’est réversible, mais sur de très longues durées en ayant tout de même des effets sur des écosystèmes qui sont quasi irréversibles à l’échelle des vies humaines. La couche d’ozone, quant à elle, est réversible : cela signifie que si arrête d’envoyer des CFC dans l’atmosphère, elle se reconstruit.
BXVentures : Pensez-vous que les technologies vont nous aider à faire face aux nombreux défis auxquels nous allons devoir faire face dans les prochaines décennies à venir ?
Sybille van den Hove : Absolument, mais pas uniquement. C’est-à-dire que oui, certaines technologies, car pas toutes, ont et vont avoir un rôle essentiel dans le futur dans la transformation du monde vers plus de durabilité. Cependant il faut faire extrêmement attention à ne pas tomber dans l’optimisme technologique. L’optimisme technologique permet de se dire qu’il ne faut rien changer, car la technologie va nous sauver et arriver comme un Deus ex machina à la fin d’une pièce de théâtre en résolvant tous nos problèmes. Mais cela ne tient pas compte des questions d’irréversibilité, qui viennent des lois biophysiques sur lesquelles l’humain n’a pas de contrôle. Cela donne un faux sentiment de sécurité. On se dit que tout va bien, qu’il ne faut pas s’inquiéter car l’être humain est tellement intelligent qu’il trouvera des solutions.
BXVentures : En parlant d’optimisme technologique, on a pu lire récemment dans la presse qu’il y avait eu de grandes avancées dans le domaine de la fusion nucléaire. Que pensez-vous de cette annonce et aussi du fait que cette source d’énergie est annoncée comme quasi illimitée et propre ?
Sybille van den Hove : J’ai étudié la physique et quand je suis sortie en 88, on nous disait que la fusion c’était pour dans 30 ans. Au cours de ma carrière, j’ai fait connaissance d’un physicien suédois très brillant âgé de 15 ans de plus que moi, et pour sa part, on lui avait annoncé à la sortie de ses études que c’était pour dans 30 ans. Aujourd’hui on vous dit que la fusion c’est pour dans 50 ans. Donc la fusion, nous n'en sommes nulle part ! Le problème énergétique qu’on a c’est aujourd’hui, c’est demain matin, c'était hier... Quand il y a eu cette espèce de délire dans la presse il y a quelques semaines sur la fusion, je ne savais pas si rire ou pleurer.
BXVentures : Certes nous n’y sommes pas encore, et l’horizon semble encore loin. Mais l’attente ne vaut-elle pas la peine si c’est pour obtenir de l’énergie illimitée ?
Sybille van den Hove : Tout d’abord, l’énergie illimitée ça n’existe pas. Il faut bien se rendre compte que dès que l’on fabrique un système qui capte l’énergie, on utilise des matériaux. Pour fabriquer un panneau solaire, il faut de l’énergie. Mais d’où vient-elle ? Nous ne sommes pas encore sur le point de fabriquer tous les panneaux solaires grâce à l’énergie solaire. L’énergie illimitée, ce serait capter l’énergie du soleil et réussir à la transformer avec très peu de matériaux. Donc de nouveau, ça donne une illusion de sécurité.
Nous sommes en ce moment à un tournant du match. Soit nous allons nous activer pour transformer beaucoup plus vite nos sociétés, nos manières de produire, de consommer, d’être et de communiquer. Soit cela va nous rattraper et ce sera beaucoup moins sympathique. Faire de la sobriété volontaire ne sera déjà pas très sympathique, mais la sobriété forcée, je ne le souhaite à personne.
BXVentures : En parlant de sobriété, la Belgique, pour ne prendre que son exemple, est en train de réfléchir à des solutions pour éviter une sobriété forcée. Une des pistes consiste en la prolongation de deux réacteurs nucléaires. Quel est votre avis sur le sujet ?
Sybille van den Hove : S’il s’agit uniquement de la prolongation de deux réacteurs pour quelques années, en s’assurant qu’il yait un travail sérieux des autorités de sureté nucléaire, pourquoi pas. Mais dans tous les cas, il faut prendre conscience que nous allons devoir gérer la fin de vie du nucléaire. Nous allons devoir gérer les déchets, le démantèlement et ce n’est pas anodin du tout.
Ce qui me fait peur avec le nucléaire c’est que l’on va continuer à investir des sommes monstrueuses dans des centrales qui ne seront pas disponibles avant 15 ou 20 ans. Comme la France qui a annoncé qu’elle allait construire de nouveaux EPR * alors que l’on voit que celui de Flamanville n’avance pas et que l’EPR Finlandais coûte bien plus cherque prévu. Cela ne résout en aucun cas notre problème immédiat. Dans mon monde peut-être naïf et idéal, on devrait mettre le paquet sur le développement d’une grande diversité de techniques de production, de stockage, d’usage et d’efficacité énergétique et sur notre relation à l’énergie. En deux mots : diversité et sobriété.
* EPR : European Pressurized Reactor
BXVentures : Alors que nous sommes en train de parler de solutions, lorsque l’on regarde ce que prédit la communauté scientifique, c’est assez interpellant. Nous nous dirigeons vers une catastrophe climatique et au lieu de diminuer les émissions globales de 45%, nous sommes en passe de les augmenter de 14 %. Qu’est-ce qu’on attend ?
Sybille van den Hove : A vrai dire, je ne sais pas ce qu’on attend. Il n’y a pas d’explication simple. Cela fait longtemps que les scientifiques essayent d’alerter, que ce soit le Club de Rome ou les nombreux rapports du GIEC depuis 1990. J’aimerais aussi insister sur le fait que les enjeux de durabilité ne sont pas uniquement des enjeux environnementaux, il y a aussi tous les enjeux sociaux et économiques. De même les enjeux d'environnement ne sont pas que des questions de climat, le climat n'est pas qu'une affaire de CO2 et le CO2 n'est pas qu'une question d’énergie. Ces réductions sont encore trop présentes.
J’ai beaucoup travaillé sur la biodiversité et je peux vous dire qu’il y a des liens croisés entre déstabilisation du climat et perte debiodiversité. Que ce soit la destruction d’écosystèmes, la perte de gènes, ou d’espèces. Il y a aussi de nombres autres enjeux de contamination, de pollution et de surexploitation des ressources.
Pourquoi n'agissons-nous pas plus ? Il y a de nombreuses explications, parmi lesquelles : l'humain qui n'agirait que quand il est vraiment au pied du mur ; les intérêts particuliers qui ont trop à perdre ; les verrous technologiques ; des enjeux géopolitiques; etc. Encore une fois, il n'y a pas une explication simple. Peut-être parce que les enjeux ne sont pas encore assez palpables et attribuables à nos actions, on peut donc les ignorer.
C'est ce qu’on a fait pendant des années avec le climat. Les conséquences du changement climatique ne sont palpables par tout un chacun, et attribuables à nos actions, que depuis relativement peu de temps. Aujourd'hui il est difficile de nier le changement climatique mais on a passé des décennies à nier. D'ailleurs, ce n’était pas du climato-scepticisme mais du climato-négationnisme. Je n’aime pas le mot climato-sceptique, car la science se construit sur le doute et grâce à lui, on améliore nos théories. Le scepticisme n'est pas une mauvaise chose en soi. Pourquoi n'agit-on pas plus ? Peut-être parce que l’on est trop confortable et que l’on ne souffre pas encore assez.
BXVentures : De qui doit venir l’action pour affronter les défis à venir ?
Sybille van den Hove : De tout le monde. On ne peut pas remettre toute la responsabilité sur les politiques, d'autant plus que c’est nous qui les élisons. S’ils font du mauvais boulot, c’est qu’on les a mal choisis. On ne peut pas non plus remettre toute la responsabilité sur les consommateurs ou encore les publicitaires qui manipulent nos désirs, non plus uniquement sur les entreprises. C'est un système complexe et il y a des points d'entrée multiples pour essayer de le transformer. Personne n’a de vision parfaite de ce qu’il est bon de faire. On sait cependant assez clairement toute une série de choses qu'il faudra abandonner. Pour le reste, il va falloir faire des essais et des erreurs et faire preuve d'adaptabilité, d’humilité et de curiosité. Tout en gardant une certaine énergie et une certaine joie car sinon, on ne se lèvera plus le matin. Il faut trouver la joie de se dire : "je fais ma part, je contribue, j'essaye d'avancer"(sourire).

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